Léa,
Comme je te l’ai laissé entendre dans la précédente lettre quand je suis sorti du temple de Long Hoa je me suis trouvé en face d’une bonne centaine de paires de chaussures. Bien entendu, plusieurs d’entre elles, jumelles de celles qui avaient connu deux heures auparavant le bonheur de mes pieds, se jouèrent de ma perplexité. Heureusement, après un long moment de solitude, j’ai enfin pu remettre la main, du moins mes pieds dans la bonne propriété. C’est donc bien chaussé que j’ai repris la route pour le delta du Mékong, le delta aux neuf dragons. Avec les ethnies minoritaires du Nord, c’était, dans ce voyage au Vietnam, un de mes deux principaux objectifs. Le Mékong m’a toujours fasciné. Alors que je n’avais que 13 ans, à bord de la péniche du cousin Vivien et de la cousine Renée, je me projetais dans un film où, avec mes porteurs, je remontais ce grand fleuve jusqu’à sa source. J’étais une sorte de Burton et Speke réunis en un seul et unique personnage. Transposition métaphysique d’un gamin au seuil de l’adolescence, leurs sources du Nil via les berges de la Seine avaient pris corps en Asie. Les aiguilles des écluses étaient de dangereuses chutes d’eau qu’il me fallait franchir au péril de ma vie. Le chien de l’éclusier, paisiblement couché au pied de sa niche était un fauve beaucoup plus redoutable que les tigres mangeurs d’hommes. C’était la grande aventure avec un « A » majuscule. Si avec le temps les couleurs de l’aventure se sont estompées dans le brouillard de la vie, j’ai su conserver cette âme d’enfant qui permet d’apprécier au quotidien les choses les plus simples, les plus ordinaires. Ici, ce sera le visage d’une femme, image de cire, fripée comme un vieux parchemin nous abordant pour nous proposer quelques poissons ou légumes. Là, un bac où s’entasse une centaine de travailleurs pressés de rejoindre l’autre rive. Plus loin, un homme seul dans sa barque, dont le regard se perd dans l’infini. Plus encore, dans un autre bras du delta, coincé entre le fleuve et la forêt, des fours à briques en forme d’obus noircissant un ciel déjà passablement gris, où, des hommes et des femmes, ramification humaine de la fourmi manioc, afin d’alimenter en combustible ces étranges constructions, vident sans discontinuité la balle de riz de bateaux chargés jusqu’à la gueule. Mais, pour moi, l’âme du Mékong se trouve dans ces marchés flottants jalonnant et ponctuant son delta qui, 4200 km en amont, prit sa source sur les hauteurs de l’Himalaya, a traversé ou côtoyé la Chine, le Laos, la Birmanie, la Thaïlande, et le Cambodge.
A Cài Râng, d’où je t’écris, le marché ressemble à une immense fourmilière parfaitement ordonnée. Les paysans, principalement des femmes, viennent dans de frêles embarcations, à la rame ou au moteur, proposer aux grossistes le produit de leur récolte. Les plus grosses péniches, ancrées au milieu du fleuve, parfois collées les unes aux autres, servent d’entrepôts, de magasins et d’habitations. Y cohabite toute la famille avec leurs animaux domestiques, poulets et cochons compris. On y vend ses légumes et fruits, on y fait la cuisine et la lessive. Afin de se différencier les unes des autres, au sommet d’un bambou de plusieurs mètres est accroché la nature du commerce, ici un ananas, là un chou, un sac d’oignons où encore une pastèque. Quelque soit l’endroit où se porte ton regard tu es saisi par une irrésistible envie de photographier. Banales pour certains, ces scènes de vies sont le reflet d’une société profondément rurale présentant un parfait équilibre entre modernité et traditions.
PS: Ici, si les femmes dissimulent leur visage ce n’est pas pour des raisons de religion, ni par un souci d’anonymat, mais, élégance oblige, par simple coquetterie, afin conserver un joli teint clair.
Encore une fois, une très belle histoire avec un bon texte très poétique.Les photos sont très belles et montrent parfaitement l’ambiance de la vie quotidienne sur le fleuve.
Merci pour ce conte. Je me suis evadé pendant quelques minutes.
Amar
Vraiment magnifique, cette lettre qui nous imprègne de cette ambiance et ces photos, me font déjà rêver du futur voyage.Merci
Christiane
Vraiment magnifique, cette lettre qui nous imprègne de cette ambiance et ces photos….
me font déjà rêver du futur voyage.Merci
Christiane
Ce genre article simple et complet. J’adore !!!