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Léa,
Aujourd’hui, dans cette vingt-quatrième lettre, après l’extravagante Las Vegas, je pourrais jouer les encyclopédies et te parler de la longueur du Grand Canyon du Colorado : 450 km de long, de sa largeur qui varie entre 5 et 30 km, de sa profondeur moyenne de 1300 m… Je le pourrais.
Mais, quand je me suis trouvé surplombant ce décor exceptionnel, ces chiffres ne voulaient plus rien dire. J’avais à mes pieds un des plus beaux spectacles naturels du monde vieux de 1,7 milliard d’années. Malgré la présence de nombreux touristes, le temps d’un instant, le souffle coupé, pris d’un étrange vertige, tétanisé, je n’osais plus bouger. J’avais peur de déranger l’indérangeable.
La nuit venue, dans mon sommeil, j’ai rêvé du capitaine Don Garcia Lopez de Cardenas. C’est cet explorateur du XVIème qui fut le premier Européen à reconnaître ce lieu hors du commun. Quand je dis j’ai rêvé du… J’étais !
Ayant retrouvé mes esprits, du moins partiellement, comme des milliards de touristes, enchaînant prises de vues sur prises de vues, j’ai mitraillé comme un malade, m’efforçant, tant bien que mal, de jongler avec les brumes et les ombres afin de reproduire dans un format 24 par 36 mm la démesure. A ma décharge, parfois, la fascination ainsi que la recherche de résultats atteignent un tel degré que le cerveau, embué, prisonnier d’une frénésie boulimique, refuse l’entendement.
Après deux jours de photos sous un ciel dramatiquement vide, sans âme pour l’habiter, conscient de n’avoir fait qu’effleurer ce qui mérite plus d’une vie, je n’ai étonnamment ressenti aucune frustration. Devant ce Géant, pour ma part inaccessible, je ne pouvais qu’accepter mon impuissance et m’incliner.
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