(Pour ouvrir les images cliquez sur celle de gauche, format carré)
Léa,
Souviens-toi, à 20 ans, dans les sillages de Marcel Bardiau et d’Alain Gerbault, je rêvais d’un tour du monde à la voile, d’affronter les quarante rugissants, de passer le Cap-Horn, de me prélasser sur une île du Pacifique. En Bretagne, au Vieux Passage en Plouhinec, indépendamment de ma volonté, mon rêve est resté à quai. Approchant un âge certain pour ne pas dire un certain âge, j’ai rouvert ce vieux placard dans lequel j’avais remisé mes rêves d’entant. Aujourd’hui, je foule enfin la « Terre de Feu » (terre de glace) où, paraît-il, l’on peut avoir les quatre saisons dans la même journée.
A Ushuaia, après un atterrissage en pleine tempête de neige, je n’ai eu qu’une brève éclaircie entre deux bourrasques, juste le temps de quelques images, images du bout du monde.
Chemin faisant, dans les quartiers populaires de Buenos Aires où la température était beaucoup plus clémente, entre deux tags, comme un souffle venu d’ailleurs, nostalgie d’un autre temps, au coin d’une rue, dans un bistro, j’ai croisé sur un air de tango l’âme de Carlos Gardel et d’Astor Piazzolla. Dans la péninsule de Valdés qu’elle ne fut pas ma surprise de voir, non loin de l’épave de ce qui fut peut-être un baleinier, des baleines franches australes se faire attaquer par des goélands. Sur une plage, j’ai assisté à la sieste des éléphants de mer, énormes pachydermes marins dont les mâles, comme tu le remarqueras, présentent avec leur dentition et protubérance nasale une certaine ressemblance avec feu le cousin Marcel. Il faut les voir s’approprier une femelle. Cela tient plus du viol que d’un moment de poésie. Il en est tout autrement des manchots de Magellan. Pour eux, former un couple est un acte important qui a pour objectif de durer toute la vie. Par dizaines de milliers, on voit les futurs époux, afin de séduire l’élue, creuser le plus beau nid d’amour. C’est certainement l’image la plus attendrissante que je garderai de ce voyage.
Si, dans le piémont andin j’ai réalisé de belles cartes postales, dans la vallée de Manso, j’ai eu le plaisir de partager le Maté. Un instant inoubliable d’une grande simplicité. Plus au sud, dans l’estancia d’Estéban un agneau m’attendait dans la cheminée. Une viande tendre et goûteuse qui a demandé près de trois heures de cuisson. Mes papilles en gardent encore le souvenir. Bien que ne parlant pas espagnol, pendant sa cuisson, j’ai essayé auprès de Zelmar, l’homme au béret rouge et à la poigne de fer, de connaître l’histoire de cette estancia. Tu t’en doutes, notre conversation fut de courte durée. Dans un livre jauni par le temps il me montra néanmoins les portraits de Maria Augustina Suarez et Juan Roque Echeverria, les grands-parents d’Estéban. Ce sont eux qui en 1903, sur une terre aride, balayée par un vent glacial, fondèrent ce domaine. Ensuite j’ai poursuivi mon voyage sur le lac Argentina, 1 466 km2, ou, entre Icebergs et glaciers, je me suis senti infiniment petit. Une sensation que j’ai retrouvée au pied du Fitz Roy, 3 405 mètres, un des sommets les plus difficiles au monde. Ce que j’avais en face de moi était simplement grandiose et compensait largement la douleur de mes genoux. Malheureusement, une fois de plus, aucune de mes images n’est à la mesure de ce gigantisme.
Sur ce, il me faut te quitter. Car, mes amis les manchots Papou, au bec et pattes oranges, rencontrés sur une île du canal de Beagle, malgré le vent, le froid et la neige, attendent pour porter cette lettre au bureau de poste du bout du monde. Moi j’ai trop froid.
- Il paraît qu’un Argentin est un italien qui parle espagnol et qui rêve d’être anglais?
Cher Daniel,
quel plaisir de te retouver dans ces quelques lignes et ces photos qui sont toujours aussi belles. Tu as toujours cette poésie dans le regard et dans les mots qui n’appartiennent qu’à toi.
C’est toujours un plaisir et un moment privilégié de te retrouver au détour d’une belle histoire.
Tes photographies de portrait sont absolument extraordinaires. Quelle force et quelle douceur en même temps.
C’est vraiment super.
Merci pour cette paranthèse inspirante.
Amar
Merci de me faire voyager à travers ce récit de voyage et ces photos
magnifiques, j’ai envie d’y partir tout de suite.
Amitiés au grand voyageur.
Catherine ( Galapagos )
Merci Daniel pour ce beau moment de partage .J’aime beaucoup ta façon d’écrire : c’est très beau , très simple et poétique .
Le texte et les photos( superbes) sont en parfaite symbiose ; très belle histoire imagée .
Merci
Annik
merci cela me touche