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Léa
Je te propose un petit retour au Royaume du Maroc. Un détour en noir et blanc au cœur d’un univers très particulier que sont les souks.
Ces marchés hebdomadaires, généralement à ciel ouvert, ont une telle importance dans le monde rural que certains villages ont pris pour nom le jour où ils se déroulent: Souk El-tnine (lundi) Souk El-Tlata (mardi), Souk El-Arbaa (mercredi), etc.
Véritables poumons de l’économie locale ce sont des lieux de rencontres où l’on vient régler une dette, échanger des marchandises, faire ressouder une théière, vendre une vache ou un tapis confectionner par les femmes pendant l’hiver, acquérir un mouton, commander au forgeron un nouveau fer pour la charrue, négocier au meilleur prix son blé, s’approvisionner en sucre, sel, fruits, légumes et autres denrées alimentaires, prendre des nouvelles d’un cousin habitant de l’autre côté de la vallée, faire rechausser un âne ou un mulet, « Michlinniser » une veille sandale dont la semelle a rendu l’âme, se faire raser la tête, tailler la barbe, arracher une dent, acheter une nouvelle djellaba ou quelques récipients en terre, plastique ou aluminium. On n’y trouve aussi des camelots, venus d’ailleurs, proposer des médecines miraculeuses capables de soulager vos douleurs ainsi que celles de votre belle-mère, mulet, âne ou cheval. Le souk, domaine des hommes, est un immense chaudron, parfois bouillonnant, dans lequel se mélangent différentes tribus qui hier encore pouvaient avoir des relations pour le moins compliquées. Le lundi à M’Hamid, aux portes du Sahara, on croisera dans le souk des Aarib, des Aït Alouane, des Draoua, des Chorfa Lahrar, des Aït Assan. Le mardi à Tamaarouft, dans le jbel Siroua, ce seront des Ahl Zguid, des Ahl Saktana, des Taliouine. Le mercredi à Tazzarine, dans le Sarhro, on verra des Morabitime, des Lakdim, des Aït Ouallal, des AïtBoudaou. Du lundi au dimanche, il en va ainsi pour tous les jours de la semaine, y compris celui du vendredi. Les rares femmes que l’on y rencontre sont généralement des veuves ou des femmes dont le mari travaille à la ville ou en Europe. Pour nous, occidentaux, ces souks, synonymes de pagaille, sont chargés de folklore.
Pour les populations locales, de génération en génération, au rythme lent d’une horloge, le jour du souk façonne de façon immuable toute une existence. A pieds, chevauchant un âne ou un mulet, serrés dans un taxi collectif comme dans une boîte à sardines, entassés parmi le bétail à l’arrière d’un camion, ou dans un car n’ayant plus d’âges, aux freins parfois incertains, il faudra, pour y faire de bonnes affaires, bien avant les premières lueurs de l’aube naissante, quitter sa vallée ou le versant de sa montagne.
Contrairement à notre jugement, l’anarchie n’y est pas en demeure. Des espaces bien délimités seront réservés, aux ambulants, au grand et petit bétail, à la boucherie. Ailleurs seront regroupés fruits et légumes. Dans un autre coin de cet espace généralement clos on trouvera des « restaurants » avec tagine, brochettes, petit lait, semoule et thé à la menthe… Si parfois certaines odeurs indisposent nos fragiles narines, il suffira d’une branche de menthe pour oublier les effluves de ce désagrément très passager.
Il y a de cela très longtemps, alors que je faisais mes premiers pas en photographie et que je rêvais de faire le tour du monde, un ami journaliste, arrivé dans la force de l’âge m’a dit: << Tu ne découvriras jamais l’âme d’un pays si tu ne vas pas à la rencontre de ses ports ou de ses marchés >>. Dans les ports il entendait les bas-fonds et ces tavernes obscures, dans les marchés, le reflet de toute une société. Je l’ai souvent écouté.
P.S. Ces photos ont été réalisées en argentique noir et blanc, en 1999. J’ai connu le Sud marocain en 1977. L’électricité y était rare. Il n’y avait ni antenne ni parabole. En 2018, malgré l’expansion de l’internet et du portable, rien n’a changé. Les souks ont gardé leur âme d’antan.
C’est toujours un grand plaisir de te lire. Comme d’habitude une véritable invitation au voyage. On ne s’en lasse pas. J’attends la suivante avec impatience.
Mon Cher Daniel,
toujours tu as toujours cet immense talent de raconter de belles histoires tout en philosophant. Tu as raison pour les ports et les marchés.
Tu sais que je ne photographie jamais les êtres humains. Mais tes photos me donneraient envie d’essayer. Toujours la même poésie et la même douceur.
Tu est une vraie source d’inspiration pour moi.
Merci.
Amitiés
Amar