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Léa,
Sur le port d’Ushuaia, afin de ne pas être transformé en une statue de glace je m’étais réfugié dans un commerce qui ne manquait pas d’originalité. En une seule et unique pièce étaient rassemblés une brocante, un bistro et une boulangerie. En ce lieu aux boiseries jaunies par le temps et les résidus goudronneux du tabac, assis à la table d’à côté, se réchauffant d’une boisson chaude et alcoolisée, un couple de français de la région de Bordeaux, fuyant comme moi le vent polaire et la tempête de neige m’a vendu le Costa-Rica et ses 30° comme étant une sorte d’Eden. Compte tenu des conditions météo de cette ville du bout du monde ou je me trouvais, je ne pouvais que tendre une oreille attentive et bienveillante à leur propos. Surtout, que dans les yeux gris verts de la jeune femme se reflétait une véritable arche de Noé. Il faut savoir que le Costa-Rica réunit 5% des espèces animales et végétales identifiées à ce jour sur 0,03% des surfaces émergées de la planète. Dans le même temps, son compagnon, biologiste, me précisait que sur ce minuscule territoire plus de 160 nouvelles espèces étaient découvertes chaque année.
Devant une description aussi engageante il ne me restait qu’une chose à faire : boucler une fois de plus ma valise, échanger mes polaires contre des chemises légères et me rendre, le plus vite possible, dans ce minuscule état de l’Amérique Centrale, avec, pour rêve, l’espoir de rajouter à ce tableau une cent soixante et unième espèce, une sorte de Fauchonocus, mi-terrestre, mi-amphibie. Comme il se doit, le Fauchonocus ne fut même pas « vulgarus ». Malgré cette immense frustration, à chacun de mes pas, à chaque contour des rivières que je remontais, ce n’était que surprise et émerveillement. Oiseaux de toutes sortes, des plus beaux aux plus ordinaires, singes, reptiles, quadrupèdes se succédèrent sans fin. Mêmes les tiques, ces horribles acariens, pourtant non invités, furent de la partie. Heureusement, paradis terrestre oblige, ils ne sont pas porteurs de l’horrible maladie de Lyme.
Un soir où avec des amis nous avions passé une partie de la journée à chercher en vain dans les collines boisées le très discret tapir dont on nous avait indiqué la présence, celui-ci, en dehors de toutes attentes, éclairé par la lune et les quelques ampoules alimentées par notre groupe électrogène nous rendit visite. Bien entendu, compte tenu de ces quatre cents livres, chacun de nous lui céda humblement sa place. L’animal, déambulant entre nous, bousculant quelques chaises au passage, nous regardait non avec curiosité mais avec défi : << Je me montre à qui je veux quand je le veux >>. Surpris, éberlué, fasciné, personne ne sorti son appareil photo. Parfois, les plus belles images ne sont pas celles inscrites sur nos capteurs, mais gravées dans notre mémoire.
Ce voyage, malgré le plaisir que j’en ai tiré ne fut pas pour moi des plus cool. Après avoir offert mon corps avec générosité aux moustiques femelles, au deuxième jour, en descendant d’une barque, je m’esquintais un genou et oubliais mon objectif phare, un 300/2,8 sur le balcon d’un hôtel de la côte Est. Heureusement pour moi, grâce à l’honnêteté de son personnel et à la bonne volonté de sa direction, j’ai pu le récupérer sur la côte Ouest douze jours après.
P.S. Avant de rejoindre l’Europe j’ai bien envie de rester encore quelques temps sur le continent américain.
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