Lettre à Léa 45

4 novembre 2019|Lettre

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Léa,

Ce matin une jeune baleine est venue s’échouer sur la plage.

Quelle synapse en elle s’est rompue ?

Jamais nous ne le saurons.

Ombre éphémère,

Indifférent à une vie qui s’éteint,

Un surfeur,

La planche sous le bras,

Passe son chemin.

       

Publiant cette image réalisée sur une plage des Galápagos, je revois mon père, un soir de nouvel an, récitant ‘’La pêche à la baleine’’ de Jacques Prévert.

 

À la pêche à la baleine, à la pêche à la baleine,
Disait le père d’une voix courroucée
À son fils Prosper, sous l’armoire allongé,

À la pêche à la baleine, à la pêche à la baleine,
Tu ne veux pas aller,
Et pourquoi donc ?
… …….

 

Poème qu’il avait entendu pour la première fois par son auteur, en compagnie du metteur en scène sarrois Max Ophuls.

Max Ophuls, amis de Prévert, contraint de faire son service militaire, s’était lié d’amitié avec mon père, un simple copain de chambrée. Il est vrai que mon père, sabotier, garçon de café dans sa jeunesse, ténor à ses heures, a toujours aimé pousser la chansonnette. La Veuve Joyeuse ou Le Pays Du Sourire ne lui faisaient pas peur. Devant cette voix à fort potentiel Max Ophuls voulait que mon père aille travailler sa voix à l’Opéra de Toulouse. La guerre est arrivée l’Opéra fut oublié.

En 1994, dans un célèbre studio d’enregistrement parisien où j’avais mes habitudes, entouré des meilleurs ingénieurs du son, j’ai enregistré la voix de mon père. Il affichait 84 ans. En le regardant, de l’autre côté de la vitre, la voix parfois chevrotante, j’ai pleuré. Seul devant son micro, il avait une fière allure. Toulouse n’était pas loin. Pour lui comme pour moi, ce fut un jour sublime.

Léa, une baleine morte sur une plage des Galápagos, un surfeur indifférent, peuvent parfois réveiller de lointains et merveilleux souvenirs.